Pour affirmer que les massacres faisaient partie d'une politique Ottomane délibérée, les propagandistes Arméniens doivent prouver qu'une décision ait jamais été prise en ce sens. Aussi ont-ils fait grand cas d'une liasse de télégrammes attribués à Talat Pacha et censés avoir été trouvés par les troupes Britanniques sous le commandement du général Allenby, lors de la prise d'Alep en 1918. Ils auraient été découverts, disait-on, dans le bureau d'un fonctionnaire Ottoman, Naim Bey, et seule la rapidité imprévue de l'avance Britannique les aurait sauvés de la destruction. Des extraits de ces télégrammes furent publiés à Paris en 1920 par un écrivain Arménien, Aram Andonian, et ils furent présentés à Berlin, lors du jugement du terroriste Arménien Tehirian, responsable du meurtre de Talat Pacha. Le tribunal en accepta cinq comme authentiques, ce qui, selon les Arméniens, suffirait pour leur donner valeur légale et leur assurer un caractère de vérité indubitable.
En réalité, ces documents ont été entièrement fabriqués et ne peuvent donc soutenir les affirmations qu'ils avaient pour but d'étayer. Ils furent publiés par le Daily Telegraph de Londres en 1922, qui en attribua alors l'origine à une découverte faite par les troupes d'Allenby. Mais lorsque le Foreign Office chercha à s'informer à ce sujet auprès du Ministère de la Guerre et auprès d'Allenby lui-même, on s'aperçut qu'il n'en était rien et qu'ils avaient été fabriqués par un groupe d'Arméniens à Paris. De plus, un examen des reproductions photographiques contenues dans l'ouvrage d'Andonian montre de toute évidence qu'ils ne ressemblent pas aux documents administratifs Ottomans habituels ni par la forme, ni par l'écriture, ni par la phraséologie, et que ce sont donc des imitations assez grossières.
Lors de l'occupation d'Istanbul par les troupes de l'Entente, les Anglais et les Français arrêtèrent un certain nombre de personnalités politiques et militaires Ottomanes et quelques intellectuels, tous accusés de crimes de guerre. Ils furent grandement aidés en cela par le parti Liberté et Entente, que le sultan avait chargé du pouvoir juste après la guerre et qui cherchait à tout prix à se débarrasser de son vieil adversaire politique, le Comité Union et Progrès, et de ses chefs. La plupart des prisonniers furent envoyés en détention à Malte mais les quatre dirigeants d'Union et Progrès qui avaient fui le pays juste avant l'occupation furent jugés et condamnés à mort par contumace à Istanbul. Trois autres personnalités furent condamnées à mort et exécutées mais on découvrit plus tard que les preuves sur lesquelles s'appuyait la condamnation étaient fausses.
Entre-temps, les Britanniques se mettaient en quête de preuves contre les détenus de Malte. Malgré la coopération sans faille du gouvernement Liberté et Entente, on ne trouva rien de compromettant dans les documents officiels Ottomans. Des recherches similaires dans les archives Britanniques ne donnèrent pas plus de résultats. En désespoir de cause, Le Foreign Office se tourna finalement vers les archives de Washington, mais dans sa réponse à Lord Curzon, le Chargé d'Affaires de l'Ambassade Britannique à Washington, R.C. Craigie, répondit:
"J'ai le regret d'informer son Excellence que nous n'avons rien trouvé qui pût servir de pièce à conviction contre les Turcs actuellement détenus à Malte .... aucun fait concret qui pût constituer une base suffisante pour une inculpation... Les dits rapports ne semblent pas, en tout cas, contenir d'informations préjudiciables à ces Turcs, ni d'informations utiles pour confirmer celles déjà en possession du gouvernement de sa Majesté... "
Ne sachant quelle attitude adopter vis-à-vis de ces prisonniers, qui avaient déjà passé deux ans en captivité sans jugement et sans même avoir été officiellement inculpés, le Foreign Office demanda l'avis du Conseil de la magistrature à Londres qui émit l'avis suivant le 29 juillet 1921:
"Jusqu'à présent, aucun témoin n'a fait de déclaration susceptible de confirmer les accusations portées contre les prisonniers. II semble fort douteux qu'il puisse s'en trouver..."
A cette époque, les documents publiés par Andonian étaient disponibles et pourtant, malgré leur besoin pressant de pièces à conviction, les Britanniques ne les utilisèrent jamais devant un tribunal, car il était évident qu'il s'agissait de faux. Les détenus furent donc libérés en 1922 sans autres difficultés.
Voyons brièvement les faits qui établissent la fausseté de ces "documents":
1-Andonian appuie son argumentation sur la signature du préfet d'Alep, Mustafa Abdûlhalik. Or, les documents d'archives établissent que les signatures attribuées à Mustafa Abdûlhalik sont fausses.
2-Sur un des documents de sa fabrication, Andonian attribue aux apostilles et à la signature de Mustafa Abdûlhalik une date à laquelle ce dernier n'était pas encore préfet d'Alep.
3-L'ignorance, ou la négligence, du décalage existant entre le calendrier Ottoman et le calendrier Grégorien transforme, sur les documents, des dates antérieures en dates postérieures, et rend caduc tout le système de datation et de numérotage utilisé par Andonian.
4-Les dates et les numéros attribués par Andonian à ses faux documents n'ont rien de commun avec les dates et les numéros des documents authentiques de l'époque. En outre, Andonian commet par inattention l'erreur de porter les mêmes numéros sur des documents différents.
5-Les groupes de chiffres qu'Andonian utilise dans certains télégrammes n'ont rien à voir non plus avec la véritable technique de chiffrage de l'époque. Ces erreurs auraient constitué des égarements invraisemblables de la part des responsables du chiffre. II laisse également croire, contre l'évidence, que le même système de chiffrage serait resté en usage pendant six mois dans un pays en guerre; et l'on sait que ce ne fut pas le cas.
6-La maladresse avec laquelle ont été tracés les signes de "Besmele", formule sacramentelle figurant en tête de tout document officiel, trahit un auteur qui ne les a probablement jamais utilisés de sa vie: sans doute un Arménien.
7-On trouve parfois dans les faux documents des expressions qu'on ne peut, en fait, utiliser dans la langue Ottomane, qu'il s'agisse de lexique, de syntaxe ou de grammaire. De même, afin de "faire avouer aux Turcs leur propre culpabilité", l'auteur prête aux dirigeants Ottomans des phrases que le simple bon sens leur aurait interdit d'utiliser.
8-A l'exception de deux d'entre eux, les faux documents sont rédigés sur du papier blanc, ne portant aucune mention ou signe prouvant qu'ils proviennent de l'administration Ottomane. Le fait que deux d'entre eux soient rédigés sur des formulaires de télégramme des postes Ottomanes n'est guère convaincant: n'importe qui pouvait s'en procurer facilement.
9-Ces faux documents n'ont pas été pris en considération par les Britanniques, qui recherchaient pourtant, avec insistance, des preuves pour faire passer en jugement les "Turcs responsables des événements Arméniens".
10-II n'est guère logique que les documents qu'Andonian présente comme hautement secrets aient été envoyés par la poste, ce qui les porte à la connaissance de plusieurs personnes. Ils auraient dû l'être par courrier spécial.
De même, il est improbable que de tels documents soient conservés pendant trois ans au lieu d'être détruits.
11-Les faux documents présentent, si l'on compare les versions Anglaise et Française du livre d'Andonian, des différences qu'il n'est pas possible de qualifier d'erreurs de traduction ou d'erreurs matérielles. A quoi sont-elles dues, sinon au manque de rigueur qui a présidé à toute cette entreprise de falsification?
12-Enfin, même les écrivains proches des Arméniens, ou se faisant leurs porte-parole, manifestent un certain scepticisme quant à l'authenticité des documents d'Andonian. En bref, du début a la fin, les prétendus télégrammes de Talat Pacha ne sont rien d'autres que de grossières falsifications fabriquées par Andonian et ses associés.
Une des lettres dont la date a été falsifiée par Aram Andonian: 18 février 1331 (2 mars 1916). La lettre commence par un Bismilla (voeux) tel qu'aucun Musulman n'aurait osé en formuler. Mais c'est dans la date que Aram Andonian commit l'erreur la plus visible. Ne s'étant pas assez renseigné sur les particularités de la conversion entre le calendrier Roumi et Ottoman-entre-autre une différence de 13 jours - il se trompa d'une année et data la lettre 1331 (1916) au lieu de 1330. Cette lettre est néanmoins rédigée de façon a prouver la préparation de longue date des transferts d'Arméniens.
Ajoutons que les archives Ottomanes possèdent un certain nombre d'instructions dont l'authenticité ne peut être mise en doute et qui furent données aux mêmes dates; Talat Pacha y ordonnait une enquête afin d'arrêter et de punir les responsables des attaques dirigées contre les convois de déportés... On l'imagine mal ordonner des massacres et en même temps demander la punition des responsables.
Une organisation charitable Américaine, la " NearEast Relie Society", fut autorisée par le gouvernement Ottoman à s'établir en Anatolie pour y déployer ses activités à l'époque des déportations et même à s'y maintenir après l'entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés des nations de l'Entente. Il en est fait état dans les dépêches de l'ambassadeur américain à Istanbul, Eikus. Or, si l'ordre de "massacrer les Arméniens" avait été donné, pense-t-on vraiment que le gouvernement Ottoman aurait laissé une organisation Américaine assister à ces "massacres"? Autrement dit, peut-on imaginer que les Ottomans auraient dit aux Etats-Unis "Nous massacrons les Arméniens; venez et soyez témoins"? Une telle hypothèse est ridicule et ne saurait fournir d'explication logique à des faits historiques.
Enfin, il y a plus important encore; car, à la fin de la guerre, une substantielle partie de la population Arménienne était encore en place à Istanbul, en Anatolie occidentale et en Thrace. Si le gouvernement Ottoman avait ordonné des massacres, n'aurait-elle pas disparu elle aussi? D'ailleurs, si le gouvernement avait voulu éliminer tous les Arméniens de l'Empire, il lui eût été plus facile de réaliser ce projet. Sur place que d'organiser à l'Est une déportation à grande échelle sous les yeux des observateurs étrangers.
Prétendre que le gouvernement Ottoman a fait procéder au massacre général des Arméniens vivant dans l'Empire ne repose donc sur rien et est réfuté par les faits.
(38) ANDONIAN, Aram; Documents Officiels concernant les Massacres Arméniens, Paris, Délégation Nationale Arménienne, 1920. (39) Daily Telegraph, 29 mai 1922. (40) 13 juillet 1921; Archives du Foreign Office, Londres, 371/6504/8519. (41) Archives du Foreign Office, Londres, 371/6504/E 8745. (42) Feigl, Erich. Un Mythe De La Terreur, 1991, Druckhous Monntal, SALZBURG, P.130.